Parc d’hivernage: Grande-Rivière s’impatiente face à Ottawa

Le maire de Grande-Rivière, Gino Cyr. - Photo de Simon Carmichael, Initiative de journalisme local, Le Soleil

«Est-ce qu’ils vont attendre qu’il y ait un mort pour faire quelque chose ou quoi!?» s’indigne le pêcheur Carmel Dubé, de Grande-Rivière, en Gaspésie. Malgré un appui fort du milieu, des organismes de développement locaux et même du gouvernement provincial, le projet de mise à niveau du parc d’hivernage de Grande-Rivière fait du surplace, faute de financement fédéral.

Par Simon Carmichael, Initiative de journalisme local, Le Soleil

«Je vous le dis, c’est carrément anti-développement ce qui se passe!» peste le maire de Grande-Rivière, Gino Cyr. «On a un projet qui fait l’unanimité pour rendre notre milieu plus écologique, plus efficace et surtout plus sécuritaire, et on s’enfarge dans des critères!»

Depuis l’automne 2018, la petite ville gaspésienne tente par tous les moyens de mettre à niveau les installations de son parc d’hivernage. «La grue qu’on a actuellement est archaïque», image le maire. «C’est une antiquité!» ajoute un pêcheur. Malgré la vétusté de l’équipement, et les enjeux de sécurité qui y sont liés, le projet de remplacement est sur la glace pour des raisons administratives.

Bien que jugée «urgente», la mise à niveau du parc d’hivernage ne parvient pas à récolter les fonds nécessaires pour lancer les travaux. Le projet, qui totalise quelque 2,2 M$, a déjà reçu une bonne partie des sommes nécessaires, mais le gouvernement fédéral ne parvient pas à boucler le financement, faute de programmes adéquats.

Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) a accepté de financer 30 % du chantier, tandis que les pêcheurs et les organismes locaux ont récolté une somme de 500 000 $. «C’est une mise de fonds de 22 % du milieu!» note Gino Cyr.

Une question de sécurité

Plus qu’une question économique, la vétusté des installations du quai de Grande-Rivière met à risque les pêcheurs qui y travaillent. En 2017, un bateau qui se faisait tirer par la grue à remplacer a été «échappé» par celle-ci, causant d’importants dégâts. Si cet incident a été le plus sérieux, il est loin d’être unique selon les pêcheurs, et les prochains pourraient être encore plus dangereux.

Le pêcheur Carmel Dubé a vu ses bateaux glisser à deux reprises de la grue, qui est pourtant toujours utilisée aujourd’hui. «Ce n’est pas pour s’amuser, ce n’est pas des niaiseries. Si on n’a pas de nouvelle grue, on ne pourra plus sortir nos bateaux!» craint-il. Il prévient que sans les sommes demandées, de malheureux incidents pourraient survenir, particulièrement puisque les embarcations sont de plus en plus grosses.

Déjà bien présents, les bateaux «nouvelle génération» sont plus imposants, ne permettant plus d’être pris en charge par la petite grue artisanale qu’utilisent les pêcheurs de Grande-Rivière. «On nous demande des bateaux plus performants, écologiques et sécuritaires, mais on ne nous donne pas les moyens pour s’en occuper», s’étonne le maire. 

Les pêcheurs Jean-Pierre Mercier (gauche) et Carmel Dubé (droite) jugent «urgent» le remplacement de la grue du parc d’hivernage de Grande-Rivière, qu’ils considèrent comme «une antiquité».

«Ce n’est vraiment pas un luxe, c’est une nécessité», ajoute simplement son collègue, Jean-Pierre Mercier.

Des critères trop sévères?

Pourtant, le secteur des pêches peut normalement compter sur le Fonds des pêches du Québec, une enveloppe de 42,8 M$ financée par Québec et Ottawa qui a comme mission de soutenir cette activité économique critique dans l’Est-du-Québec. Lancé en avril 2019, le programme n’a distribué qu’une fraction des sommes réservées, soit 7M$. «C’est de l’argent qui dort et qui va périmer en 2024. Ça ne fonctionne juste pas!» juge le maire de Grande-Rivière.

Malgré des demandes répétées du milieu et l’appui du gouvernement provincial, Pêches et Océans Canada soutient que le projet de la municipalité gaspésienne ne répond pas aux critères puisqu’il ne serait «pas assez innovant», et la ministre Bernadette Jordan refuse d’élargir les critères d’admissibilité du Fonds des pêches du Québec.

Pour faire bouger les choses, le ministre du MAPAQ, André Lamontagne, a écrit à sa vis-à-vis fédérale en mars dernier. «Je constate que nous sommes encore très loin des prévisions d’aides financières aux intervenants du secteur des pêches. […] Cela pourrait nous conduire à considérer des projets comme le Parc d’hivernage de bateaux de Grande-Rivière, un projet qui répond à un enjeu sectoriel important en termes de sécurité des pêcheurs et l’efficacité de leur opération», relate la lettre, dont Le Soleil a obtenu copie. Malgré cette intervention, les critères du fond n’ont pas été revus.

En janvier dernier, le maire et plusieurs acteurs de l’industrie ont tenu une conférence de presse pour faire pression sur le gouvernement fédéral.

Gino Cyr déplore la fermeture du gouvernement fédéral, qui refuse de voir le caractère innovant de son projet. «Pour que nos pêches soient plus efficaces, écologiques et sécuritaires, il faut avoir de nouveaux bateaux qui sont plus gros, et en ce moment, on ne peut pas les sortir de l’eau puisqu’on a une grue artisanale et archaïque. Pourquoi est-ce qu’on ne reconnaît pas le caractère innovant de cette pêche du futur pour financer la nouvelle grue?» s’exaspère le maire.

«Une ministre, mais pas une députée»

Le dossier du parc d’hivernage de Grande-Rivière s’est rapidement politisé au fil des mois. Dernièrement, la député bloquiste Marlène Gill l’a porté à la Chambre des communes, questionnant la ministre et députée locale Diane Lebouthillier, sur son appui au projet. «Où est la députée et ministre de Gaspésie-Les-Îles?» a demandé la députée de Manicouagan

«Je n’ai aucune leçon à recevoir du Bloc québécois, qui a dévitalisé la Gaspésie pendant 15 longues années. De quoi est capable le Bloc Québécois en région? Rien. Rien du tout sauf chialer. En Gaspésie, on a besoin de faiseux, pas de chialeux», a rétorqué Diane Lebouthillier.

Cette dernière se fait particulièrement discrète dans le dossier, préférant laisser la ministre de Pêches et Océans Canada, Bernadette Jordan, dialoguer directement avec Grande-Rivière et Québec. «On a l’impression d’avoir une ministre qui défend le gouvernement, mais pas une députée qui défend ses électeurs», laisse tomber Gino Cyr.

La réponse de la ministre Lebouthillier n’a pas non plus impressionné les pêcheurs du quai de Grande-Rivière, qui se situe à quelques mètres de son bureau de circonscription. «Elle a dit qu’en Gaspésie on est pas des chialeux, mais qu’on est des faiseux. Ben si elle est Gaspésienne, qu’elle le fasse! Qu’elle se bouge! C’est pas à moi d’aller au ministère pour les convaincre, c’est à elle!» lance le pêcheur Carmel Dubé. «On demande une bagatelle au fédéral! Une goutte d’eau dans l’océan.»

Le Soleil n’a pu rejoindre la ministre, lundi, pour obtenir un commentaire sur le dossier.