La tempête Fiona avale le Château Dubuc de Chandler

La tempête Fiona aura achevé ce qui était le dernier vestige de l’ère industrielle de Chandler qui a été avalé par les vagues agitées de la Baie-des-Chaleurs.

Le Château Dubuc a glissé sur le rivage samedi par le pilonnement sans fin de la mer déchainée par la tempête de forte intensité qui a frappé la région.

Des dizaines de curieux sont venus constater l’ampleur des dommages une fois que l’information a commencé à circuler.

C’était une scène de désolation.

Le pavillon Est et centrale avaient glissé vers la mer en ciseau alors que l’aile Ouest n’est descendue que de quelques mètres sur le rivage.

Les tempêtes des 18 derniers mois avaient miné le terrain alors que le mur de protection qui devait protéger le bâtiment avait déjà été passablement ravagé par l’érosion.

Conséquence : l’eau pouvait facilement entrer sous le bâtiment et miner le sol jusqu’à ce que la mer donne le dernier coup de grâce au bâtiment.

« C’est 25 ans de ma vie que j’ai mis là. Je n’ai plus un sou. Alors, j’ai demandé de l’aide », lance le propriétaire, Michel Saint-Pierre qui s’est rendu sur place dimanche pour voir le triste sort du château.

Il s’en prend aux gouvernements qui l’ont laissé tomber.

« Tous les ministères, autant provincial et fédéral, n’ont rien fait. Je vois notre supposé honorable députée de Gaspé [la députée-ministre de Gaspésie-Les Îles-de-la-Madeleine, Diane Lebouthillier] qui avait même un programme justement pour le Château Dubuc et qui a été se cacher à Ottawa, c’est ça que je trouve dur », mentionne M. Saint-Pierre.

Ses mots les plus durs vont au gouvernement sortant de la Coalition avenir Québec.

« Je me suis fait insulter à l’Assemblée nationale par la ministre de la Culture, Mme Nathalie Roy. Je trouve ça dur de voir le premier ministre du gouvernement sortant qui est pour le réchauffement climatique qui ne fait pas grand-chose. Je trouve ça sur que la Ville n’a rien fait. […] Je n’entre pas dans les normes… Le patrimoine, on n’y croit pas », laisse tomber M. Saint-Pierre, visiblement ébranlé par le sort du bâtiment.

La ministre de la Culture donne une tout autre version de l’histoire.

« Je suis en désaccord avec ce que les oppositions disent. Malheureusement, on ne peut pas tout sauver », lance Nathalie en entrevue à CHNC.

Dès le printemps 2018, le propriétaire et la Ville de Chandler avaient reçu du gouvernement une communication dans laquelle il était écrit que le bâtiment était dans une zone à érosion et une zone inondable et que tout était imminent.

« En 2021, le propriétaire me fait une demande pour que nous puissions l’aider. C’était la première fois qu’au ministère de la Culture, on avait vent de ce bâtiment. On s’était rendu compte que le bâtiment avait subi de très lourdes avaries, avait connu des grandes marées et était dans un état tel qu’il était plus récupérable », affirme la ministre qui rappelle l’offre de 40 000 $ conditionnelle à l’ajout des partenaires locaux et régionaux.

« Le 4 octobre 2021, le conseil municipal de Chandler a refusé une aide de 56 000 $ pour sécuriser le bâtiment, ce qui compromettait une aide de 25 000 $ de la MRC [du Rocher-Percé] et un prêt de 100 000 $ conditionnels à l’aide de la Ville », ajoute la ministre.

« Lorsque le gouvernement veut aider, encore faut-il qu’il sache dans quoi il investit et que le propriétaire nous arrive avec une solution réaliste, ce qui n’était pas le cas », continue Mme Roy.

« À l’impossible, nul n’est tenu. Il était trop tard, malheureusement. On en a eu la preuve avec Fiona », poursuit-elle.

Patrimoine Gaspésie a lancé plusieurs sonnettes d’alarme sur l’importance historique du bâtiment.

Encore la semaine dernière, son président, Jean-Marie Fallu, rappelait le manque de considération des candidats à l’élection provinciale du 3 octobre prochain.

« C’est très triste. C’est la perte d’un bien patrimonial important. C’était le dernier vestige physique de la grande épopée industrielle de Chandler », lance d’entrée de jeu M. Fallu.

« C’est un symbole de l’inertie gouvernementale. Le gouvernement sortant de la CAQ a injecté 22 millions $ pour sauver la Villa James [de Percé, le bâtiment désigné Espace bleu pour la Gaspésie], mais ici, on a ri du monde en offrant 40 000 $ pour sauver cette villa qui était de grande importance. C’est dommage », laisse tomber l’historien.  

Ces derniers mois, la Ville de Chandler a tenté le tout pour le tout avec un ultime effort dans une opération de sauvetage auprès du gouvernement du Québec, sans succès.

« On a fait un dernier effort en acceptant de prendre en charge le Château Dubuc, conditionnel à une subvention du gouvernement. Le ministère de la Culture s’en tenait encore à 40 000 $, ce qui ne payait même pas les frais d’architectes pour la relocalisation. C’est rire de nous autres », raconte le maire, Gilles Daraîche.

Pour sauver le bâtiment, il fallait investir entre 2,5 et 3 millions $.

« Il fallait de 400 000 $ à 500 000 $ simplement pour reculer le château. On parlait de 1 million $ pour un enrochement pour le protéger pour une quarantaine d’années, en plus de refaire le terrain et le rénover », précise l’élu.

Rencontré sur place, celui qui a effectué l’entretien du château durant une vingtaine d’années, regardait le bâtiment ayant glissé sur le rivage.  

« C’est triste. Il y a 10 ans passé, on aurait pu le sauver, mais avec les gouvernements, c’est trop lourd. C’est une partie de l’histoire de Chandler qui est partie », confie Michel Rehel.

« On aurait pu le déménager il y a un mois ou deux pour peut-être 125 000 $ », affirme le propriétaire.

Témoin de plus de 100 ans d’histoire, le bâtiment exprime la présence de l’industrie du papier-journal dans l’Est-du Québec.

J. Alfred Dubuc y invitait des personnalités américaine et européenne au début du siècle dernier.

Surnommé le Roi de la pulpe, il dirigeait une multinationale qui avait des usines à Chandler, Val-Jalbert, Chicoutimi et Port-Alfred, au Saguenay-Lac-Saint-Jean et à Brooklyn, aux États-Unis.

Admis dans les hautes-sphères de la finance américaine, il a terminé sa carrière comme député à la Chambre des communes.

La tempête post-tropicale Fiona aura soufflé fort dans la région de Chandler avec des rafales enregistrées à 100 kilomètres à l’heure à la station météo de Cap-d’Espoir.

Selon Environnement Canada, il est tombé 51 millimètres de pluie à l’aéroport de Gaspé.

Outre plusieurs pannes d’électricité provoquées par les vents forts, aucun incident fâcheux n’est rapporté.

Quelques inondations mineures ont été signalées, notamment à l’Anse-au-Griffon au plus fort de la marée samedi après-midi.